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Tous fichés : comment nos vies sont scrutées dans les moindres détails

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La surveillance généralisée prend désormais des proportions qu’on n’imaginait même pas au 20ème siècle. Épiés dans tous leurs mouvements, les citoyens acceptent par défaut cet espionnage permanent, qui continuera à s’étendre tant que l’indifférence demeurera.


Par Benoit Delrue. Lien court : http://wp.me/p6haRE-qr

1 900 mots environ. Temps de lecture estimé : 10 minutes. HorlA2


Le 21ème siècle est, à ce jour, tout sauf une ère de liberté – malgré les messages récités dans les publicités en tous genres. L’attentat du 11 septembre 2001 a subitement plongé le « monde libre », le camp occidental qui n’avait plus d’ennemi après l’effondrement de l’URSS, dans une grande « guerre contre le terrorisme » au nom de laquelle tous les coups sont permis. Les Etats-Unis ont réduit les libertés publiques avec le Patriot Act, mis en œuvre par l’administration de George W. Bush – et désormais, la France suit la trace de l’Oncle Sam dans la surveillance généralisée de la population, seule à même de déjouer les actes terroristes selon les dirigeants politiques.

L’hexagone quadrillé

Les gouvernements de droite au pouvoir entre 2002 et 2012 ont fait de « la sécurité » leur priorité, en quadrillant le territoire. Avec des troupes d’abord : l’armée d’infanterie est venue prêter main forte aux policiers et gendarmes. Elle patrouille désormais dans les grandes gares et les aéroports, fusils à la main, en vertu du plan Vigipirate, qui ne bouge pas de son plus haut niveau depuis 2004 (rouge ou écarlate). Depuis la mise en place des nouveaux niveaux de Vigipirate l’an dernier, l’alerte attentat – le seuil maximum – a été proclamée à trois reprises en 2015.

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Outre les effectifs policiers et militaires sur le terrain, la France est également quadrillée par les caméras de vidéosurveillance, dont le nombre a littéralement explosé depuis quinze ans. En 2007, l’administration dénombrait déjà 340.000 objectifs focalisés notamment dans les grandes villes ; en juin 2012, ce sont 935.000 caméras officiellement enregistrées que la Commission nationale informatique et libertés dénombrait(1). La présidente de la Cnil estimait par ailleurs que le nombre réel d’appareils en usage était « probablement beaucoup plus » nombreux à scruter les « lieux ouverts », voie publiques et magasins. L’objectif du gouvernement Fillon, sous la présidence de Nicolas Sarkozy et avec la ministre de l’Intérieur Michelle Alliot-Marie, de « tripler » le nombre de caméras de vidéosurveillance a donc été « largement atteint » selon Les Echos la même année(2).

Aujourd’hui, ce sont largement plus d’un million de caméras qui encerclent les lieux publics de la métropole, où tous les faits et gestes peuvent être observés en détails – avec le consentement d’une majorité de Français. Selon un sondage réalisé en mars 2013 par l’institut BVA pour Le Figaro(3), 75% des interrogés sont favorables au « développement de la vidéoprotection dans les centres-villes, dans les transports et les lieux publics ». Aucun lien n’est fait entre la perte des libertés et le ratissage de toutes les routes, stations, villes – ce qui permet à la politique sécuritaire de poursuivre une courbe exponentielle dans le nombre de dispositifs mis en œuvre pour espionner la population. Bientôt, les caméras au sol seront renforcées par une armée de drones pour mieux quadriller les centres-villes et les points de friction de l’urbanisme capitaliste. Ils pourront suivre à la trace les individus au « comportement suspect » automatiquement détecté et traquer tous ceux qui ont l’air d’enfreindre la loi.

Un espion dans la poche

Le Big Brother de George Orwell semble bien dépassé par les événements, qui prennent une tournure démesurée à l’heure du tout-connecté. Quand l’entité dominante de 1984 espionnait les gens chez eux avec des « télécrans », ce sont désormais les citoyens eux-mêmes qui livrent le détail de leurs vies privées par le moyen de leurs téléphones intelligents et des réseaux sociaux. Chacun a désormais dans sa poche de quoi le tracer, le surveiller, l’examiner ; les smartphones font office de témoin omniprésent des moindres faits de leurs propriétaire.

Floris Douma, Self Surveillance

Les merveilles technologiques sont utilisées à deux fins bien spécifiques : la première est de vendre davantage, en recueillant les informations personnelles pour mieux cibler la publicité, ce que font les fabricants et les opérateurs eux-mêmes ; la seconde est de surveiller chaque geste, en s’appuyant sur les mêmes données, pour vérifier qu’il ne traduise aucune infraction aux lois en vigueur. Si les utilisateurs consentent majoritairement à ce que leurs renseignements privés – centres d’intérêt, lieux visités par le GPS, photographies et vidéos, et désormais les battements de cœur et rythmes respiratoires – servent à Apple ou à Google, ils sont bien moins au courant de l’utilisation qui en est faite par ceux qui surveillent, les États-Unis en tête.

La National Security Agency, ou NSA, est l’organisme américain dont on sait depuis deux ans qu’il espionne le monde entier à travers sa surveillance d’Internet et des réseaux mobiles. Publiés à partir du 6 juin 2013 dans le journal The Guardian, les fichiers récupérés par Edward Snowden, ancien agent de la CIA et ancien consultant de l’office de renseignements, démontrent l’ampleur du phénomène et prouvent que personne n’est à l’abri. Créée en 2007, le programme PRISM implique une surveillance totale du réseau mondial, à laquelle ont concouru progressivement toutes les grandes firmes américaines : Microsoft, Yahoo, Google, Facebook, Skype et Apple fournissent à la NSA en temps réels les milliards de données qui transitent sur leurs plates-formes électroniques.

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La NSA ne se contente pas de récupérer les informations circulant sur Internet (courriers électroniques, historiques de navigation…) : elle s’emploie également à récupérer l’ensemble des données émises et reçues par téléphone mobile, en piratant elle-même les puces de la firme Gemalto, qui édite deux milliards de cartes SIM chaque année (4). Les dirigeants sont tous écoutés, y compris François Hollande et Angela Merkel, grâce à un système de crackage incontournable à la fabrication ; ce sont, en réalité, tous les téléphones porteurs d’une carte SIM dont les données, y compris les appels vocaux et les messages courts (SMS), sont envoyés directement à la NSA.

Snowden : révélations et réactions

La NSA dispose de son propre centre de stockage de données, l’Utah Data Center, dans lequel elle enregistre l’ensemble des informations collectées. Ces dernières, provenant directement des satellites et des câbles mondiaux d’Internet, concernent l’ensemble des citoyens connectés, comme en témoigne la taille pharamineuse de la structure : en juillet 2013, sur la base des plans du data-center révélés par Forbes (5), 10.000 racks de serveurs pouvaient conserver entre 3 et 12 exabytes (milliards de gigabytes). A titre d’exemple, l’intégralité des communications produites en une année aux États-Unis ne représenterait que 2% de cet espace de stockage gigantesque. Toutes les informations émises depuis un appareil électronique, téléphone, tablette, ordinateur ou montre connectée, sont ainsi sauvegardées en intégralité dans le centre de données de la NSA, accessibles uniquement par la police fédérale – le FBI – et par les services secrets états-uniens – la CIA.

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Si l’existence même des pratiques de la NSA et du programme PRISM a pu être mise au jour, c’est uniquement grâce au jeune informaticien Edward Snowden, qui a révélé la surveillance de masse organisée en secret, documents à l’appui. Il est le seul à avoir brisé l’omerta qui règne parmi les travailleurs impliqués dans l’entreprise de fichage et de stockage de la quasi-totalité des données numériques mise en œuvre aux États-Unis. En réalité, chaque nation importante dispose de son propre service d’espionnage de la population, et la France ne fait pas exception. La réaction même des autorités françaises vis-à-vis des révélations Snowden en dit long sur leur mépris des libertés publiques.

François Hollande a bien froncé les sourcils devant les caméras au plus fort des révélations, le 1er juillet 2013, indiquant que « nous ne pouvons pas accepter ce type de comportement entre partenaires et alliés » et jugeant que « les éléments sont déjà suffisamment réunis pour que nous demandions des explications ». Seulement deux jours plus tard, le 3 juillet, la France ferme son espace aérien à un président en exercice, le Bolivien Evo Morales, que la CIA soupçonne d’avoir embarqué Edward Snowden à Moscou (6). L’épisode, inédit dans l’Histoire et ébruité le moins possible dans l’hexagone, a provoqué la fureur du peuple bolivien et a révélé l’attitude du laquais jouée par la France dans cet épisode diplomatique. En réalité, le président Hollande et ses ministres n’ont fait que servir les intérêts des États-Unis dans cette mauvaise farce, et rêvent de mettre à disposition de l’État français des services aussi « performants ».

Le chemin sécuritaire

La France entend rattraper son « retard » sur le modèle d’espionnage états-unien en donnant désormais aux services de police le droit d’enregistrer les communications sans avoir à en référer auprès d’un quelconque juge, comme c’était le cas jusqu’au mois dernier. La loi relative au renseignement promulguée à la hâte par l’exécutif le 24 juillet 2015 prouve le peu de cas que le gouvernement Valls fait des libertés publiques.

Le Conseil constitutionnel a validé la loi tout en censurant trois articles, et en précisant que « le législateur n’a pas déterminé les règles concernant les garanties fondamentales accordées au citoyen pour l’exercice des libertés publiques » (7). Pour certaines ONG, cette nouvelle loi sert de base à la surveillance généralisée. « Les mesures de surveillance désormais autorisées sont complètement disproportionnées » selon Amnesty, qui précise : « De larges pans de la population de la France pourront bientôt se retrouver sous surveillance pour des raisons obscures et sans autorisation judiciaire préalable » (8).

Au prétexte du danger permanent encouru avec les attentats, et de « la guerre contre le terrorisme », le gouvernement et l’Assemblée nationale ont signé un texte qui brise une à une les garanties prévues jusque là dans la loi pour empêcher toute dérive des écoutes. Les fournisseurs d’accès à Internet ou les opérateurs de téléphonie mobile seront désormais tenus de répondre aux injonctions des services de police, en autorisant un prélèvement à la source, sans qu’un juge puisse encadrer le nombre et la qualité des renseignements pris. « Les intérêts majeurs de la politique étrangère », les « intérêts économiques, industriels et scientifiques », « la délinquance organisée » ou la prévention des « violences collectives » sont pêle-mêle cités par la loi sans qu’aucun objectif ne soit précisé (9). En pratique, tous les motifs seront bons, au titre de la sécurité et de la prévention, pour espionner massivement la population. Toute infraction pourra être repérée, y compris aux lois les plus injustes – celles qui placent la sécurité des biens avant celle des personnes dans le système capitaliste. Beaucoup de Français s’inquiéteront alors de leurs libertés, mais il sera peut-être trop tard pour enrayer la machine.

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Les systèmes de surveillance mis en place pour observer les moindres faits et gestes de la population dépassent l’entendement. Toutes les communications émises par les engins électroniques, sur internet ou les réseaux mobiles, sont d’ores et déjà sauvegardées et conservées par la NSA dans son gigantesque centre de données de l’Utah, tandis que la France de Hollande et Valls ne rêve que d’une chose : transposer, dans l’hexagone, l’ « expertise » dans le contrôle de masse dont font preuve les États-Unis. Si beaucoup de Français ne voient là qu’un signe du progrès, et se croient parfaitement à l’abri par une vie de respects des lois, c’est parce qu’ils ne se rendent pas compte de ce que signifie l’application stricte des textes, dans lesquels la sécurité de la propriété capitaliste l’emporte toujours sur la sécurité sociale des personnes. L’ordre établi, profondément injuste à l’encontre des simples travailleurs pour sceller la supériorité hiérarchique de la bourgeoisie, fera preuve de violence pour s’appliquer à la lettre – et c’est ce qui guette la population française avec l’espionnage permanent de tous leurs actes, même les plus minimes. Plus qu’un réveil tardif, c’est d’un sursaut dont les travailleurs français ont besoin pour mesurer la dangerosité du phénomène et s’élever contre le flicage perpétuel de leurs vies.

B.D.

Références :

1 : http://www.lesinrocks.com/2012/06/21/actualite/les-cinq-chiffres-fous-de-la-videosurveillance-11272131/

2 : http://www.lesechos.fr/22/06/2012/LesEchos/21211-013-ECH_plus-de-1-million-de-cameras-de-surveillance-sur-le-territoire.htm

3 : http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2013/03/25/01016-20130325ARTFIG00348-securite-les-francais-favorables-aux-cameras.php

4 : http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/02/20/pourquoi-la-nsa-et-le-gchq-ont-vole-des-cles-de-chiffrement-de-cartes-sim_4580668_4408996.html

5 : http://www.forbes.com/sites/kashmirhill/2013/07/24/blueprints-of-nsa-data-center-in-utah-suggest-its-storage-capacity-is-less-impressive-than-thought/

6 : http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2013/07/03/une-rumeur-sur-snowden-provoque-une-crise-diplomatique-entre-paris-et-la-paz_3440849_3222.html

7 : http://www.lepoint.fr/politique/loi-renseignement-trois-articles-censures-par-le-conseil-constitutionnel-23-07-2015-1951071_20.php

8 : http://www.amnesty.fr/Nos-campagnes/Liberte-expression/Actualites/Loi-renseignement-un-grand-coup-aux-droits-humains-15714

9 : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000030931899

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